Profession de foi et sacrements de l'initiation chrétienne

08 novembre 2019

C’est à partir d’interrogations émanant du terrain pastoral, que nous proposons la présente Lettre, pour initier une éventuelle réflexion.

Le débat, centré notamment sur la place de la célébration de la profession de foi telle que nous la connaissons, est typique du contexte français. La réflexion est ouverte et méritera d’être poursuivie et approfondie, en vue d’éventuelles idées concrètes pour aujourd’hui.

Nous avons choisi de situer la célébration de la profession de foi par rapport à l’initiation chrétienne, donc au baptême, à la confirmation et à l’eucharistie. Pour cette raison, nous procèderons en trois temps successifs : d’abord, un bref historique de la première communion et de la communion solennelle (I) ; ensuite, la célébration de la profession de foi aujourd’hui (II) ; enfin, la question de l’âge de la confirmation (III). Nous nous efforcerons, au long de ces lignes, de mettre en évidence les liens entre ces différents aspects.


I.- Initiation chrétienne, première communion et communion solennelle : aperçu historique

Aujourd’hui en France, dans bien des diocèses et pour des raisons que nous ne détaillerons pas, se pose la question de l’ordre (de l’ordonnancement) des trois sacrements de l’initiation chrétienne (1).

Aussi, pour une part, la question de la profession de foi comme célébration à part entière, considérée en tant que telle et pour elle-même, est liée à l’initiation chrétienne parce que liée, à l’origine, à la première eucharistie.

Autrefois appelée communion solennelle, la profession de foi n’est pas comptée dans les sept sacrements de l’Église (septénaire sacramentel). La profession de foi, prise isolément, n’est pas en soi un sacrement : elle constitue soit un élément (central) du rituel sacramentel, soit un sacramental, c’est-à-dire un rite liturgique qui certes a son importance, dans un contexte donné, mais qui n’a pas la portée ni le caractère d’un sacrement. En tout cas, la profession de foi qui, dans le diocèse de Sens et Auxerre est célébrée généralement à la fin de l’année scolaire de sixième, peut apparaître comme une sorte d’ajout, de liturgie qui se serait intercalée à l’intérieur d’une démarche plus ample de catéchèse ou d’initiation chrétienne.

Historiquement, la traditionnelle communion solennelle, devenue profession de foi, date du dix-septième siècle. Née en France, elle fut rendue populaire par saint Vincent de Paul. L’origine de cette célébration, c’est la première eucharistie : au dix-septième siècle, en France et aussi en Belgique, contrairement aux pratiques des Églises orientales, la première eucharistie était conférée non pas avant la catéchèse des enfants, mais à la fin de celle-ci, vers l’âge d’onze ou douze ans. Ce, jusqu’en 1910. Pour mettre en valeur cette première communion, l’habitude fut prise, dans les paroisses françaises, de solenniser l’événement en lui donnant un caractère festif, notamment en demandant aux enfants d’y être revêtus des insignes du baptême (croix, vêtement blanc, lumière). D’où l’appellation de communion solennelle.

Au début du vingtième siècle, le pape saint Pie X réinstaura la communion précoce des enfants par le décret Quam singulari du 8 août 1910. Dans ce décret, le pape réprouve une pratique, encouragée par le jansénisme (2), qui tendait à exiger un enseignement religieux le plus complet possible pour pouvoir accéder (enfin) à la communion eucharistique qui, en outre, était peu fréquente. Pour remettre en question la célébration de la première communion en fin de catéchèse de primaire, le pape s’appuie notamment sur les pratiques traditionnelles anciennes, sur le IVème concile œcuménique du Latran (1215) (3), sur la théologie de saint Thomas d’Aquin et sur le concile de Trente (4). La question centrale de Quam singulari est : à quel âge un enfant doit-il être admis à la sainte Table (et aussi au sacrement de pénitence) ? Le pape conclut qu’il n’y a qu’un seul âge de discrétion (sept ans) (5), et que c’est cet âge qui doit constituer le critère majeur :

"L’âge de discrétion pour la communion est celui auquel l’enfant sait distinguer le pain eucharistique du pain ordinaire et corporel, et peut ainsi s’approcher avec dévotion de l’autel. Ce n’est donc pas une connaissance parfaite des choses de la foi qui est requise, puisqu’une connaissance élémentaire, c’est-à-dire une certaine connaissance, suffit. Ce n’est pas, non plus, le plein usage de la raison qui est requis, puisqu’un commencement d’usage de la raison, c’est-à-dire un certain usage de la raison, suffit."

La discipline de Quam singulari, par rapport aux pratiques alors habituelles, a pour conséquence d’inverser le temps du catéchisme et la célébration de la première communion. La première communion, à partir de 1910, fut célébrée non plus à la fin de la catéchèse de primaire, mais au contraire au début, voire juste avant. Cette décision pontificale peut, de notre point de vue de français d’aujourd’hui, nous étonner, car elle pourrait laisser paraître que le pape relativiserait la formation catéchétique. En réalité, cette décision correspond à la logique des catéchèses mystagogiques des premiers siècles : l’enseignement fondamental sur les sacrements de l’initiation chrétienne était dispensé principalement non pas avant l’initiation, comme une préparation à la recevoir, mais au contraire après la réception des trois sacrements que sont le baptême, la confirmation et l’eucharistie (6). Certes, dans les premiers temps de l’Église, le contexte n’était pas celui d’aujourd’hui, puisqu’on baptisait surtout des adultes, même si la pratique du pédobaptisme aurait commencé dès l’Antiquité chrétienne, quoiqu’il en soit au quatrième siècle (7), voire avant. De leur côté, les Églises orthodoxes, lorsqu’elles célèbrent le baptême de tout-petits, conservent le même ordonnancement que lorsqu’il s’agit du baptême d’adultes (baptême, puis chrismation, puis eucharistie).

La « cérémonie » de communion solennelle, parfois appelée grande communion dans des milieux populaires, est pourtant restée, malgré l’option prise par le pape Pie X, parce qu’elle correspond aussi, sociologiquement parlant, à l’entrée dans l’adolescence. Ce qui, au passage, met en évidence le besoin social (pas seulement religieux) de ritualité. Dans la théorie, cette célébration aurait pu éventuellement être supprimée, puisqu’alors la première eucharistie avait déjà été reçue par les enfants. Mais, pour bien des pasteurs, une telle suppression eût constitué un risque : que les enfants ne soient finalement jamais, ou très peu, catéchisés ; que leur formation chrétienne et leur pratique du culte s’en arrêtent là et soient envisagées à partir de ce qui les termine, alors que la vie sacramentelle est toujours au contraire constituée, pour ainsi dire, de commencements successifs.

La première communion se trouvant donc, depuis saint Pie X, avancée à un âge antérieur aux pratiques françaises habituelles, et la célébration de la communion solennelle étant maintenue, une différenciation s’est produite entre deux rites. La communion solennelle, distincte de la première eucharistie, ne pouvant pas en tant que telle entrer dans la liste des sacrements, a fortiori des sacrements de l’initiation chrétienne, est devenue un rite détaché – et détaché dans le temps – de la première communion.

Dans le courant du vingtième siècle, la communion solennelle s’est présentée de plus en plus, autant dans la pratique que dans la présentation qui en était faite aux enfants, comme une célébration de renouvellement des engagements du baptême, ou plus exactement comme un rite d’appropriation par les enfants des engagements que leurs parents avaient pris pour eux, la quasi-totalité des jeunes catholiques, puis la grande majorité d’entre eux, ayant été baptisés tout petits.

La confirmation elle-même, jusqu’au concile Vatican II et encore quelques années après, était conférée peu après la première communion. De sorte que les enfants, ayant grandi, n’avaient plus guère de souvenir marquant de ces étapes pourtant importantes dans la vie de foi. Et surtout, à l’approche de l’adolescence, il est apparu utile que ces jeunes puissent, en conscience, exprimer par eux-mêmes, solennellement (c’est-à-dire devant la communauté rassemblée et confessante), leur désir de continuer la route avec le Christ.


II.- Baptême, profession de foi, fête de la foi

Dans la pratique, à la fin de la période qui correspond aujourd’hui à celle de la scolarité élémentaire, ou au début de la scolarité secondaire (entrée en sixième), les paroisses ont continué à organiser une fois l’an une messe dominicale solennelle au cours de laquelle les enfants manifestent publiquement qu’ils font leur le baptême reçu autrefois lorsqu’ils étaient bébés, qu’ils en deviennent sujets actifs. On a logiquement continué à utiliser les symboles baptismaux (croix, aube et cierge) au cours de cette célébration, même si, au long des années soixante-dix, la tendance dans les paroisses « progressistes » était plutôt d’abandonner l’aube qui, au final, est en quelque sorte revenue d’elle-même. Telle est pratiquement, en de nombreux diocèses catholiques de France, la situation actuelle.

Ce qui n’existait pas du tout avant le milieu des années soixante-dix, ce sont les « fêtes de la foi », dont les configurations et les styles sont variés d’un lieu à un autre, y compris à l’intérieur d’un même diocèse. Dans beaucoup de cas, il s’agit d’une célébration non eucharistique, la veille de la messe solennelle ou encore à la fin de la retraite préparatoire à la profession de foi. Dans un certain nombre d'expériences, la fête de la foi est l’occasion de célébrer des étapes de baptême d’enfants en âge de scolarité, voire le baptême lui-même.

Aujourd’hui, concernant la célébration de la profession de foi, la question qui revient le plus fréquemment est celle de la poursuite de la formation chrétienne des jeunes au-delà. La célébration de la profession de foi, dans l’esprit des parents et peut-être dans l’esprit des jeunes eux-mêmes, marque la fin du catéchisme. Mais elle pourrait être au contraire, comme certains le souhaitent et en parlent, une nouvelle étape en direction de la confirmation et, plus largement, d’un choix de vie : puisqu’il existe, pour les adultes et les enfants d’âge scolaire, des « étapes » de baptême, pourquoi ne pas instituer aussi des « étapes » de confirmation ?

La réflexion est ouverte. Il convient, dans cette recherche, de garder à l’esprit la question de l’ordre des trois sacrements de l’initiation : les pratiques récentes, en France, ont fait que dans les représentations qu’ont de nombreux fidèles et de nombreux pasteurs de l’initiation chrétienne, on est d’abord baptisé (jusque-là, rien à redire !), puis on reçoit la première eucharistie, puis on est confirmé. Dans la grande tradition de l’Église, la confirmation (la chrismation en Orient) précède la première eucharistie ; faut-il revenir ou non à l’ordre traditionnel ? Le plus important est-il l’ordre chronologique traditionnel, ou le lien entre les trois sacrements quel que soit l’ordre adopté entre confirmation et première communion ? Et dans tous les cas, où place-t-on, si on la conserve, une célébration spécifique de profession de foi ?


III.- Confirmation : à quel âge ?

Jusque dans les années soixante-dix, en France, la confirmation était conférée durant l’enfance, la plupart du temps entre la première communion et la profession de foi, qui portait alors, rappelons-le, le nom de communion solennelle.

Au milieu des années quatre-vingt, toujours en France, on s’est mis massivement à proposer la confirmation à l’âge de l’adolescence (fin de collège, début de lycée), donc à la retarder. La confirmation apparaissait alors de plus en plus comme sacrement d’engagement dans la foi, avec le risque pélagien ou semi-pélagien que la volonté humaine de recevoir le sacrement domine sur la réception de la grâce divine.

Cette évolution peut se comprendre, car elle correspondait à une volonté de former des jeunes chrétiens véritablement conscients et responsables de leur témoignage de croyants. Vatican II ayant, peu de temps avant, remis en valeur le sacerdoce baptismal. L’une des conséquences fut malgré tout la chute du nombre de confirmés, donc de jeunes chrétiens initiés, avec entre autres effets, à terme, la difficulté de trouver des parrains et marraines de baptême initiés et idoines, puisque l’Église catholique affirme toujours que « pour que quelqu'un soit admis à remplir la fonction de parrain, il faut […] qu'il soit catholique, confirmé, qu'il ait déjà reçu le très saint sacrement de l'Eucharistie et qu'il mène une vie cohérente avec la foi et avec la fonction qu'il va assumer […]. » (8). Devant la difficulté de trouver des personnes correspondant à cette critériologie, un certain relâchement de la règle s’est, de fait, opéré : il est communément d’usage, actuellement, dans notre pays, qu’un fidèle puisse être parrain d’un petit enfant même s’il n’est pas complètement initié. Mais une telle concession se justifie parce que le baptême du petit enfant est considéré comme un bien supérieur pour l’enfant lui-même (ou, en d’autres termes : mieux vaut un parrain qui, même non confirmé, joue convenablement son rôle, qu’un parrain initié qui délaisserait sa responsabilité). La décision finale ressortit du discernement pastoral et le relâchement de la règle ne doit pas pour autant constituer une norme.

Actuellement, la question de l’âge de la confirmation se pose dans les diocèses français sous deux aspects principaux : d’une part, le sens à donner à la confirmation (deuxième sacrement de l’initiation ? Sacrement de l’engagement dans la foi ?), et d’autre part le dialogue œcuménique avec les Églises orthodoxes.


Père Hugues Guinot,

Chancelier du Diocèse de Sens-Auxerre.

______________________

(1) Sachant que le baptême est nécessairement premier, la question qui se pose en réalité est : faut-il célébrer la première communion après ou avant la confirmation ?

(2) Le jansénisme, du nom de l’évêque Cornélius Jansen, est un courant rigoriste de l’époque moderne, opposé aux jésuites, que les jansénistes jugent trop favorable à la liberté humaine.

(3) « Tout fidèle de l’un et l’autre sexe, après avoir atteint l’âge de raison, confessera personnellement et fidèlement tous ses péchés au moins une fois par an à son curé […], recevant avec respect au moins à Pâques le sacrement de l’eucharistie […] » (4ème concile du Latran, 1215, chapitre 21). Si chaque fidèle ayant l’âge de raison (sept ans) doit pouvoir communier à Pâques, c’est bien qu’à cet âge il est censé y être prêt.

(4) « Le même saint concile [de Trente] enseigne qu’aucune nécessité n’oblige les enfants, qui n’ont pas l’âge de raison à la communion sacramentelle de l’eucharistie […] » (Concile de Trente, 21ème session, 16 juillet 1562). Même type de raisonnement déductif que ci-dessus : si la communion eucharistique n’est pas nécessaire avant sept ans, c’est qu’elle l’est après.

(5) Âge que l’on appelle communément âge de raison, c’est-à-dire âge du discernement (discretio, en latin, signifie discernement).

(6) Dans l’initiation chrétienne des quatre premiers siècles, il existe de petites instructions préalables aux sacrements, pour aider les catéchumènes dans leur démarche. Mais l’essentiel de l’enseignement réside bien dans les catéchèses mystagogiques données lors des dimanches du temps pascal.

(7) La pratique du pédobaptisme s’est généralisée, en Occident, au Moyen-âge.

(8) CIC 83, c. 874 §1.