Mariage naturel ou mariage sacramentel ?

08 juin 2018

La distinction entre le mariage naturel et le mariage sacramentel est une question fréquente, non seulement pour les officialités mais également pour les pasteurs qui préparent au mariage, ainsi que pour les fiancés eux-mêmes qui s'interrogent sur le lien qui les unit. De là, découle également un certain nombre d'empêchements matrimoniaux.


I. Mariage naturel (A) et mariage sacramentel (B)


Depuis toujours, les chrétiens accordent au mariage une dignité particulière. Comme le rappelle le Catéchisme de l’Église Catholique au n° 372 : « L’homme et la femme sont faits "l’un pour l’autre" : non pas que Dieu ne les aurait faits qu’"à moitié" et "incomplets" ; Il les a créés pour une communion de personnes, en laquelle chacun peut être "aide" pour l’autre parce qu’ils sont à la fois égaux en tant que personnes ("os de mes os...") et complémentaires en tant que masculin et féminin. Dans le mariage, Dieu les unit de manière que, en formant "une seule chair " (Genèse 2, 24), ils puissent transmettre la vie humaine : "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre" (Genèse 1, 28). En transmettant à leurs descendants la vie humaine, l’homme et la femme comme époux et parents, coopèrent d’une façon unique à l’œuvre du Créateur (cf. GS 50, § 1). »

C’est donc de par le droit naturel d’abord, que le mariage est sacré pour l’Eglise catholique. Et c’est au nom du droit naturel, qu’un mariage ne peut ni être conclu sous la contrainte (l’engagement doit être librement consenti), ni dissout (indissolubilité du mariage).


A.- Mariage naturel et légitimité du mariage

L’Eglise catholique appelle mariage naturel tout mariage validement et légitimement célébré. En droit canonique, on réserve habituellement l’expression mariage naturel ou mariage légitime aux unions matrimoniales entre non baptisés, pour les distinguer des mariages sacramentels, entre baptisés.

Un mariage en effet peut être légitimement célébré à l’Église sans pour autant être sacramentel : c’est le cas des mariages célébrés entre une partie baptisée et une partie non baptisée, appelés mariages dispars (avec dispense de l’empêchement de disparité de culte).

Enfin, un mariage non célébré à l’Église peut, au nom du droit naturel, être canoniquement légitime et valide (cas des mariages entre non baptisés célébrés « seulement » à la mairie - et éventuellement aussi dans une religion non chrétienne).


B.- Mariage sacramentel

Le canon 1055 dispose que, lorsqu’il s’agit d’un mariage entre baptisés, alors le caractère naturel du mariage est en outre sacramentel, c’est-à-dire ancré dans le baptême et pas seulement dans la loi naturelle. Il est sacrement parce qu’il est manifestation du salut obtenu dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ. En d’autres termes, il manifeste l’alliance entre le Christ et son Église et dépasse, par le fait même, le contrat seulement humain.


II.- Empêchements matrimoniaux


Petit préalable : la notion d’empêchement matrimonial n’est pas propre à l’Eglise catholique. Certains empêchements sont partagés avec la société civile, comme l’âge ou la consanguinité par exemple. A quoi il faut ajouter que, pour l’Église catholique, l’empêchement peut résulter soit d’une inaptitude naturelle à contracter mariage (c’est le cas par exemple de l’incapacité à consentir ou encore de l’empêchement d’impuissance), soit d’une disposition positive du droit qui, même si la personne est naturellement apte, la rend inhabile à contracter (c’est le cas par exemple de l’empêchement de lien).

Pour ce qui concerne les empêchements canoniques en général, l’Église catholique les distingue classiquement selon deux catégories : les empêchements dirimants, qui atteignent la validité du consentement (on parle fréquemment de mariage nul pour exprimer l’invalidité de tel contentement matrimonial. Nous faisons quant à nous le choix du vocabulaire de la validité et de l’invalidité, à connotation plus positive), et les empêchements prohibants, qui interdisent le mariage, qui en atteignent la licéité.

La législation canonique actuelle retient seulement la catégorie d’empêchements dirimants comme soumis à dispense au sens strict du terme (validité). En revanche, il faut toujours distinguer les dispenses, qui touchent les personnes, des autorisations, qui touchent l’acte du mariage lui-même. Nous allons y revenir.

Formellement, il existe douze empêchements matrimoniaux dans le Code de droit canonique. Cependant – et c’est important dans les causes d’invalidité du lien matrimonial traitées par les officialités – il faut considérer aussi des situations ou la validité du lien se trouve altéré.

Dans cette deuxième partie, complexe, nous proposons le plan suivant à des fins d’exhaustivité, mais sans trop entrer dans tous les détails : A.- Empêchements et dispenses canoniques ; B.- Vices du consentement ; C.- situations qui requièrent autorisation.


A.- Empêchements et dispenses canoniques

Les dispenses concernent soit les empêchements (1), soit la forme canonique du mariage (2).

1.- Empêchements

Lorsqu’un empêchement est constaté avant le consentement ou durant la préparation du mariage, le responsable du dossier commence en principe par examiner si l’empêchement peut (doit) faire l’objet ou non d’une dispense. Il est donc possible de distinguer deux sous-catégories d’empêchements dirimants : ceux qui peuvent être levés par dispense et ceux qui ne le peuvent pas. Pour des raisons de commodité, les empêchements sont présentés ci-dessous dans l’ordre du Code de droit canonique et non en deux catégories distinctes.

  • L’âge (c. 1083). – Le Code de droit canonique en vigueur (1983) fixe à 16 ans pour l’homme et à 14 ans pour la femme la limite au-dessous de laquelle mariage ne peut pas être valide. Cependant, le même Code permet aux conférences des évêques de fixer, dans leur ressort, une limite d’âge supérieure à seize ans pour l’homme et à quatorze ans pour la femme. Cette disposition a pour fin la cohérence entre la loi ecclésiastique et la loi civile. En France, l’Église doit s’aligner sur les dispositions du droit civil, puisque le mariage religieux ne doit pas être célébré s’il n’est célébré au préalable à la mairie.

  • L’impuissance (c. 1084). – Il s’agit de l’incapacité d’accomplir l’acte sexuel complet, que la cause en soit physiologique ou psychologique, et que l’impuissance soit absolue ou relative à telle personne particulière. Pour que le consentement matrimonial puisse être déclaré invalide, il faut qu’il soit prouvé qu’il y avait impuissance au moment du consentement ; l’impuissance doit en outre être perpétuelle (incurable).

  • Le lien (c. 1085). – Un mariage peut être impossible (antérieurement au consentement) ou invalide (postérieurement) en raison d’un empêchement de lien. Le cas le plus connu est celui de l’existence d’un mariage occulte ou d’un précédent lien qu’on croyait éteint chez l’une des deux parties. Exemple : durant telle guerre, un certain nombre d’hommes ne sont pas rentrés du front et, de ce fait, ont été réputés décédés, alors qu’ils ne l’étaient pas ; mais voici que réapparaît celui qu’on croyait mort… Le mariage est impossible ou nul en raison du droit naturel, qui veut que le mariage soit à la fois unique et indissoluble.

  • La disparité de culte (c. 1086). – C’est l’empêchement le plus fréquent, en tout cas celui pour lequel, dans notre diocèse, une dispense est le plus souvent demandée. Il s’agit du mariage entre une partie baptisée catholique et une partie non baptisée, agnostique ou bien de religion ou confession non chrétienne. C’est toujours l’Ordinaire (ou son délégué) de la partie catholique qui a compétence pour dispenser.

  • L’ordre sacré (c. 1087). – L’ordination constitue un empêchement matrimonial. Ainsi, un diacre permanent marié, si son épouse décède, ne peut pas se remarier. Toutefois, cet empêchement n’est pas de droit naturel mais de droit ecclésiastique ; il peut donc être levé, mais seulement par le Pontife romain.

  • Le vœu public de chasteté dans un institut religieux (c. 1088). – Cet empêchement est proche du précédent. Il ne peut être levé que par le Pontife romain (institut de droit pontifical) ou par l’évêque diocésain (institut de droit diocésain).

  • Le rapt (c. 1089). – Il s’agit des cas où l’un des futurs est enlevé ou détenu en vue d’obtenir le consentement matrimonial. Cet empêchement peut, théoriquement, être levé par une dispense. Mais une telle situation est quasi inexistante dans la pratique, au moins en France.

  • Le crime (c. 1090). – Si A assassine son propre conjoint ou le conjoint de B en vue de se marier avec B, ou si A et B assassinent leurs conjoints en vue de se marier, alors le lien est impossible ou invalide. La dispense pour empêchement de crime est réservée au Pontife romain.

  • La consanguinité (c. 1091). – Le mariage est impossible en ligne directe et « est invalide en ligne collatérale jusqu’au quatrième degré inclusivement » (cousins germains). La dispense n’est possible que pour des cousins germains, pas pour un degré moindre (on ne peut pas épouser son frère ou sa sœur).

  • L’affinité (c. 1092). – A la différence de la consanguinité, fondée sur le lien du sang, l’affinité est fondée sur le mariage (lien d’alliance). Il s’agit, par exemple, du lien entre une femme et son beau-frère, entre un oncle et sa nièce par alliance, etc. Dans le droit catholique latin, seule l’affinité en ligne directe dirime le mariage, et à tous les degrés, l’’empêchement peut donc, en certains cas, faire l’objet d’une dispense. A noter que le droit catholique oriental maintient l’empêchement en ligne collatérale jusqu’au deuxième degré (CCEO (Code des Canons des Églises Orientales), c. 809). Dans certains dossiers, il est donc nécessaire de bien vérifier si tel ou tel futur est de rite oriental ou non.

  • L’honnêteté publique (c. 1093). – Il s’agit du « mariage invalide après que la vie commune ait été instaurée ou d’un concubinage notoire ou public ; et il dirime le mariage au premier degré en ligne directe entre l’homme et les consanguins de la femme, et vice versa. » La dispense relève de l’Ordinaire.

  • La parenté légale (c. 1094). – Il s’agit de la parenté adoptive. Le mariage est impossible ou invalide « en ligne directe ou au second degré en ligne collatérale. » La dispense relève de l’Ordinaire.


2.- Dispense de la forme canonique

Le Code détermine la forme que doit revêtir le mariage (cc. 1108-1123). Il s’agit de la formule du consentement, de différents éléments liturgiques, du lieu, des compétences et pouvoirs du ministre, etc. Certaines situations, comme le mariage mixte (entre une partie catholique et une partie baptisée dans une autre Église ou confession chrétienne – voir ci-dessous), peuvent requérir une dispense de la forme canonique, pour des raisons pastorales. Une telle dispense relève de l’Ordinaire de la partie catholique.


B.- Vices du consentement

Outre les empêchements dont nous venons de parler, le droit canonique actuel note des situations qui peuvent vicier le consentement et donc porter atteinte à la validité du mariage. En général, deux cas de figure peuvent se présenter : le vice est constaté avant le mariage, qui donc ne peut pas être célébré (à moins d’une dispense éventuelle, mais alors il faut agir au cas par cas, en lien étroit avec le Bureau diocésain des mariages) ; le vice se manifeste après le consentement, cas le plus fréquent. Beaucoup de déclarations de nullité (sentences des officialités) reposent sur des vices de consentement constatés après le mariage.

  • L’incapacité à consentir (c. 1095). – Le code de droit canonique distingue trois types de cas : les personnes n’ayant « pas l’usage suffisant de la raison » ; celles « qui souffrent d’un grave défaut de discernement concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage » ; celles « qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage. »

  • L’ignorance (c. 1096). – Les futurs sont présumés connaître la nature du mariage, ses caractéristiques essentielles ainsi que les obligations matrimoniales. En bref, ils sont censés savoir à quoi ils s’engagent. D’où la nécessité d’une préparation sérieuse. Il arrive que dans les procès en nullité soit accusé le défaut de préparation.

  • L’erreur sur la personne (c. 1097, § 1). – Dans cette situation, le mariage est de soi invalide.

  • L’erreur sur une qualité de la personne (c. 1097, § 2). – Dans cette situation, le mariage n’est pas nécessairement invalide. Cette disposition est d’interprétation délicate. En cas de procès en nullité, le juge examinera attentivement le cas d’espèce et s’appuiera sur la jurisprudence canonique.

  • Le dol (c. 1098). – Il s’agit des mariages obtenus sous l’effet d’une tromperie volontaire. Le dol invalide le consentement.

  • L’erreur concernant l’unité, ou l’indissolubilité, ou bien la dignité sacramentelle du mariage (cc. 1099, 1100). – Une telle erreur « ne vicie pas le consentement ».

  • L’exclusion du mariage ou de l’un de ses éléments essentiels (c. 1101). – L’expression du consentement est présumée conforme à la volonté intérieure. Toutefois, « si l’une ou l’autre des parties, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement. »

  • Le mariage sous condition (c. 1102). – Le mariage obtenu sous condition peut ou non être valide (le juge déterminera ad casum).

  • Le mariage obtenu sous l’effet d’une violence ou d’une crainte grave (c. 1103). – Un tel mariage est invalide.


C.- Situations qui requièrent autorisation

Deux types de situations sont à considérer : les mariages mixtes (1), les autres situations (2).

1.- Mariages mixtes (cc. 1124-1129)

La célébration d’un mariage mixte nécessite une autorisation de l’Ordinaire de la partie catholique, et non pas une dispense, puisque les deux parties sont baptisées. L’autorisation porte sur la licéité de l’acte et non sur la validité du lien.

Néanmoins, il peut y avoir doute sur la validité ou sur la réalité du baptême de la partie acatholique, d’où l’existence de l’autorisation pour mariage mixte assortie, ad cautelam (par prudence), d’une dispense de l’empêchement de disparité de culte.

2.- Autres situations (c. 1071)

Les situations, énumérées ci-après, requièrent toujours l’autorisation préalable de l’Ordinaire. Elles figurent dans la partie du Code concernant les préliminaires du mariage : elles intéressent donc tout particulièrement les personnes et équipes chargées de la préparation.

Il s’agit du « mariage des vagi (sans domicile) », des mariages qui ne peuvent être célébrés selon la loi civile (interdit civilement mais possibles canoniquement), des cas ou l’un ou l’autre des futurs est tenu par des obligations naturelles envers des tiers (ex ou enfants nés d’une précédente union), du mariage de personnes ayant notoirement rejeté la foi catholique, d’une personne sous le coup d’une censure canonique (interdiction canonique, par exemple l’excommunication), du mariage d’un mineur « à l’insu ou malgré l’opposition raisonnable de ses parents », du mariage par procuration.


P. Hugues GUINOT

Délégué épiscopal aux mariages, diocèse d'Auxerre