Le motu proprio « ab initio » entre harmonisation de la loi universelle et respect de la nature propre des Églises de droit propre

12 décembre 2020

Le motu proprio « ab initio » 

entre harmonisation de la loi universelle et respect de la nature propre des Églises de droit propre




R.P. Bruno Gonçalves c.o.

Maître de conférences à la Faculté de droit canonique

de l’institut catholique de Paris




Le 8 décembre 2020 est entré en vigueur le motu proprio « ab initio » signé par le Pontife Romain François le 21 novembre 2020 et rendu public le 7 décembre 2020. Ce texte modifie deux canons du code des canons des Églises orientales au sujet de l’érection canonique des monastères sui uris et de celles des autres congrégations prévues respectivement aux c. 435 §1 et 506 §1. 

Ce texte apparait comme la version pour les Églises orientales du motu proprio « Authenticum charismatis » que le Pontife Romain a promulgué le 1er novembre 2020.


Pour ces deux textes, l’argument central par du constat qu’un charisme exprimé spécifiquement de manière stable dans la vie consacrée n’appartient pas à l’institut qui est érigé mais bien à l’Église toute entière (1). Même reconnu localement, ce charisme est un don qui enrichit l’ensemble du peuple de Dieu. Devant des discernements quelquefois compliqués et qui méritent donc d’être accompagnés, le Siège Apostolique a peu à peu renforcé sa vigilance. Ainsi, le canon latin 579 réclamait, avant toute érection canonique d’un nouvel institut de vie consacrée par l’évêque diocésain sur son territoire, la consultation préalable du Siège Apostolique. Depuis Authenticum charismatis, il est demandé une autorisation préalable écrite obligatoire (à ce sujet, se rapporter à l’article publié sur le site par Cédric Burgun).


Comme la discipline orientale peut paraitre avoir quelques similitudes en apparence à la discipline latine, il peut donc sembler normal que la législation en la matière soit harmonisée dans la perspective du motu proprio « Authenticum charismatis ».


Pourtant, il n’aura échappé à personne qu’il a fallu modifier non pas un canon, comme pour la législation latine, mais deux canons du CCEO. Il y a plusieurs raisons à cela qui nous invitent à considérer la spécificité de la vie consacrée en droit oriental que nous évoquons maintenant sans prétention d’exhaustivité.


Tout d’abord, la législation orientale distingue nettement la vie consacrée monacale, qui est l’archétype de toute vie consacrée, et les autres formes de vie consacrée. Le monachisme tient donc la première place comme en rend compte d’ailleurs l’intitulé du titre XII du code oriental : « Les moines et tous les autres religieux et les membres des autres instituts de vie consacrée ». En droit latin, le législateur n’a pas réservé une place privilégiée aux moines préférant l’appellation générique de vie consacrée qui comprend aussi bien la vie consacrée religieuse, monacale ou pas, et la vie consacrée séculière.


Par ailleurs, entre l’évêque éparchial et le Siège Apostolique, il y a place en droit oriental pour l’autorité placée à la tête de l’Église de droit propre considérée. C’est pourquoi le droit oriental connait non seulement des instituts de droit éparchial ou de droit pontifical mais encore de droit patriarcal (cf. par exemple le c. 434). C’est le cas par exemple des monastères stauropégiaques (cf. 435 §2 ; 486 §1 du CCEO) qui relèvent directement de l’autorité patriarcale (2).  À ce sujet, le texte dit clairement qu’il entend ne pas modifier la discipline concernant les monastères et congrégations de droit patriarcal : «  Il revient au Siège apostolique d’accompagner les Pasteurs dans le processus de discernement qui conduit à la reconnaissance ecclésiale d’un nouvel Institut ou d’une nouvelle Société de droit éparchial, ainsi que le jugement final pour  vérifier l’authenticité de la finalité inspiratrice ». 


Il faut enfin prendre en considération que les droits du patriarche d’une Église sui iuris ne sont pas les mêmes selon que l’on se trouvent ou pas sur le territoire historique du patriarcat (cf. cc. 78 §2 ; 146 et s. du CCEO). Ainsi, le patriarche n’est pas habilité à effectuer une visite canonique dans un monastère stauropégiaque qui n’est pas situé dans le territoire propre de son patriarcat (cf. cc. 414 §2 ; 486 §2 du CCEO). 


Ainsi, le premier canon modifié (le c. 435 §1) concerne un monastère, c'est-à-dire strictement la vie monacale, qui serait ériger par un évêque éparchial. Sous l’emprise de la rédaction antérieure, il fallait consulter l’autorité patriarcale, si le monastère considéré était érigé sur le territoire propre du patriarcat, et pour tous les autres cas, le Siège Apostolique. Cela signifie que l’évêque éparchial maronite de saint Charbel de Buenos Aires devait consulter le Siège Apostolique puisque son territoire était situé en dehors de patriarcat. L’évêque éparchial maronite de Saïda sis dans le territoire historique maronite devait lui consulter le patriarche maronite. Avec la rédaction du nouveau canon, la règle reste la même quant aux autorités compétences mais il faudra désormais obtenir d’elles une autorisation écrite préalable avant de pouvoir ériger un nouveau monastère éparchial. Il faut ici faire quelques remarques. Tout d’abord, l’institution patriarcale est respectée dans ses prérogatives canoniques. À l’heure d’un certain centralisme, le texte respecte les médiations propres à la tradition canonique orientale. Le nouveau canon, dans les faits, augmente même les prérogatives du patriarche dans son territoire historique (3), comme celles d’ailleurs du Siège Apostolique pour le reste du monde, puisque désormais ce n’est plus un avis qui est requis mais une autorisation préalable donnée par écrit . Il est important aussi de souligner qu’aucune modification n’est introduite pour ce qui concerne les monastères stauropégiaques (cf. 435 §2 du CCEO). Il faut cependant considérer que la création de ce type de monastère est déjà entourée d’un certain nombre de moyens de discernement notamment le patriarche doit obtenir le consentement du synode permanent (c.486 §1 du CCEO).


L’autre canon modifié, le c.  506 §1 du CCEO, concerne pour sa part les ordres et les autres congrégations à l’exception donc des monastères régis par le c. 435 §1. D’importance moindre dans la tradition orientale, le canon ancien réclamait de l’évêque éparchial qui souhaitait ériger une nouvelle congrégation qu’il consulte dans tous les cas le Siège Apostolique. Si le territoire éparchial appartenait au territoire propre de patriarcat, le patriarche devait également être consulté. Il y avait donc un parallélisme parfait de consultation entre les deux autorités mentionnées selon que l’éparchie dans laquelle devait être érigé le nouvel institut était ou non situé dans le territoire historique du patriarcat concerné.


La rédaction du nouveau c. 506 § rompt cette harmonie dans la mesure où il réclame l’autorisation préalable écrite du Siège Apostolique dans tous les cas de figure et uniquement la consultation du patriarche si l’institut est érigé dans une éparchie située sur son territoire historique. Peut-être que le fait de demander deux autorisation préalables écrites, ce qui respectait parfaitement alors le parallélisme des formes, pouvait constituer une procédure particulièrement lourde et dissuasive. Il est possible que le législateur n’en ait alors souhaité qu’une seule qui, dans ce cas, ne pouvait être que celle du Siège Apostolique. Une autre option était possible en considérant que l’autorité dont il fallait obtenir l’autorisation préalable écrite aurait été déterminée selon que l’éparchie dans laquelle l’institut était érigé était ou non située dans le territoire historique ou non. Dans le premier cas, l’autorisation aurait alors été donnée par le patriarche, dans le second cas par le Siège Apostolique. Outre que cela maintenait le principe de compétence en fonction du territoire historique, cela aurait maintenu le parallèle ancien du canon. Bien sûr, on peut toujours objecter que la nouvelle rédaction du canon n’enlève finalement rien au patriarche qui était anciennement consulté et le demeure encore. Pour autant, un tel argument manquerait peut-être de « psychologie » voire de pragmatisme. Terminons cette rapide analyse en considérant que la capacité du patriarche à ériger des ordres et des congrégations de droit patriarcal, comme il est prévu au c. 506 §2-3, demeure inchangée. Dans le cas d’une érection, la consultation du Siège Apostolique est déjà requise au c. 506 §2. Dans le cas où un institut éparchial est répandu dans plusieurs éparchies sises sur le territoire historique, le patriarche conserve aussi le droit de l’ériger en institut patriarcal au c. 506 §3 sans consulter le Siège Apostolique. Dans ces deux cas de figure, le consentement du synode permanent est requis. 


Relevons pour finir que les Églises orientales de droit propre ont sans doute dans leur fonctionnement collégial et synodal, un moyen de discernement qui peut aider à garantir la naissance mal venue d’instituts.



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(1) A ce sujet, on peut se reporter à Bruno GONÇALVES, « Discernement, gouvernement et charisme », in Bruno GONÇALVES et Cédric BURGUN, « Le droit de l’Église au service du gouvernement de la vie religieuse », Perpignan Artège Lethielleux, 2020, p. 41-61.

(2)  Du fait du c. 152 du CCEO, ce qui est dit du patriarche vaut pour l’archevêque majeur.

(3)  Reste, au passage, que l’on peut toujours s’interroger sur la pertinence de l’existence de ce territoire historique tel qu’il est aujourd’hui considéré.