Les prérogatives des catéchumènes

01 juin 2019

C’est délibérément, que nous allons aborder le catéchuménat en termes de droit canonique. Habituellement en effet, nous connaissons bien le catéchuménat du point de vue liturgique et catéchistique, mais moins bien du point de vue du droit ecclésial. D’où l’intérêt de journées d’études comme celle qui a eu lieu le 5 décembre 2017 et fait l’objet d’une publication fort utile (1), et qui nous a aidé à bâtir la présente Lettre.

Nous l’avions précédemment exposé : le catéchuménat est déjà un statut , ou un début de statut (2), du point de vue de l’appartenance ecclésiale, même si les catéchumènes ne possèdent « pas encore le statut de personne physique dans l’Église catholique (3) ». « Sont en lien avec l’Église d’une manière spéciale les catéchumènes qui sous la motion de l’Esprit Saint, demandent volontairement et explicitement à lui être incorporés et qui, par ce désir ainsi que par la vie de foi, d’espérance et de charité qu’ils mènent, sont unis à l’Église qui les considère déjà comme siens (4). »

Les catéchumènes, sitôt leur première démarche publique, ont en quelque sorte déjà un pied dans l’Église ; ils sont en train d’en franchir le seuil dans le sens de l’entrée. Dans une première célébration liturgique, celle justement de l’entrée en catéchuménat, ils seront accueillis par la communauté, à la vie de laquelle ils vont commencer à participer à un titre spécial (« en lien avec »), pour « découvrir le Christ (5) ». Le catéchumène, même s’il n’est pas encore incorporé à l’Église, puisqu’il n’est pas encore baptisé, y est admis fraternellement d’une manière spéciale (6) en raison de la « motion de l’Esprit Saint » qui procède de Dieu et précède toute volonté positive de l’Église.

Du fait de ce lien spécial, l’Église reconnaît aux catéchumènes un certain nombre de prérogatives (7). Celles-ci sont d’autant plus à prendre en compte, que tout non-baptisé, même s’il n’est pas catéchumène est, du point de vue de la foi, aimé du Père (8) ; et que, pour cela, les évêques et autres pasteurs, comme avec eux tous les fidèles (9), ont le devoir de manifester la charité du Christ à son égard (10).

Avant de détailler les prérogatives des catéchumènes, il convient d’en poser le socle : le droit au respect, qui s’applique pour toute personne, mais revêt une « coloration » spécifique du fait même de la démarche du futur baptisé.

Après avoir traité de ce droit au respect (I), nous traiterons des principales prérogatives reconnues aux catéchumènes (II), tout en épinglant les obligations qui en découlent du côté de l’Église.


I.- Droit fondateur au respect

Lorsqu’une personne, non baptisée, frappe à la porte de la communauté chrétienne en vue d’entamer une démarche vers le baptême, c’est en général parce qu’elle a vécu une expérience singulière avec le Christ, dont le Christ lui-même a eu l’initiative (11). La personne qui se présente ne possède pas toujours les outils conceptuels pour décrire son expérience. Mais « quelque chose » s’est passé, qui a permis, modifié ou renforcé sa vie spirituelle. L’expérience première peut être une rencontre, le témoignage de chrétiens, une expérience spirituelle intime… Les réalités sont variées, et les personnes de tous milieux et de toutes tranches d’âge. Ce « quelque chose », qui lui est personnel, est déjà comme le franchissement d’un seuil. Pour la foi chrétienne, c’est le Ressuscité lui-même qui se manifeste à travers cette personne. En sorte que l’agent pastoral ou le ministre de l’Église rencontre, à travers ce baptisé potentiel, aussi le Christ lui-même dans le premier contact.

Cependant, du côté du catéchumène, du fait même qu’il a besoin d’un temps de maturation (12), notamment pour mettre des mots sur son expérience personnelle, sa liberté de conscience doit être respectée, comme le dispose le canon 748, § 2 (13). Le droit au respect dont il s’agit, c’est fondamentalement le droit à la liberté de conscience.

Sans parler immédiatement de statut à proprement parler, le futur catéchumène, sitôt qu’il est accueilli, obtient d’ores et déjà une place dans la communauté, laquelle communauté portera dès lors la responsabilité non seulement de l’accueil, mais du premier accompagnement (14), dans le respect de la liberté de conscience de celui ou celle qui se présente. Et ce respect se conjugue avec une obligation de discernement du côté de l’Église. Du point de vue de la foi, adopter une telle attitude, c’est respecter le Christ (15) et discerner la présence agissante du Ressuscité, dans l’esprit de l’Évangile (16). Paradoxalement, le Christ se donne lui-même à connaître dans ceux qui apparaissaient, a priori, loin de l’Eglise. En outre, la démarche du futur catéchumène doit être accueillie comme un désir de réponse à l’appel du Christ, et cela ne nous appartient pas.

Ce premier droit au respect de la liberté de conscience est évidemment valable pour toute personne en général. Mais ici, il l’est en particulier en raison d’un appel spécifique venant de Dieu ; un droit au respect qui, pour cela, revêtira une coloration spéciale et ne devra jamais, tout au long de la démarche, être négligé, car « l’Église interdit sévèrement de forcer qui que ce soit à embrasser la foi (17). »


II.- Prérogatives spécifiques

En premier lieu, il ne faut pas oublier le caractère réciproque des ces prérogatives, qui constituent autant de devoirs pour l’Église.

Les prérogatives reconnues aux catéchumènes sont énumérés dans le Code de droit canonique, dans les canons indiqués ci-dessous. Mais restant ouverte la possibilité pour les conférences des évêques de déterminer, en faveur des catéchumènes, « d’autres prérogatives non prévues par le CIC (18) » et aussi « d’autres obligations (19) ».

Recevoir un accompagnement adéquat et adapté (cc. 788, § 2 ; 872). – C’est le rôle des pasteurs que de répondre à cette prérogative ; mais aussi, particulièrement, celui des parrains avant et après le baptême : le parrain « montre amicalement au catéchumène comment vivre de l’Évangile dans sa vie privée et sociale, il l’aide dans ses doutes et inquiétudes, il lui apporte l’appui de son témoignage et veille à la croissance de sa vie baptismale (20). » Les parrains de chaque catéchumène « contribuent après le baptême, à sa persévérance dans la foi et dans la vie chrétienne (21). »

Recevoir le baptême, ayant suivi le catéchuménat (c. 788). – Cela tombe sous le sens, car c’est le principe même du catéchuménat, que de conduire au baptême. Cependant, le redire ici permet d’insister sur l’obligation qu’a l’Église d’offrir une démarche catéchuménale sérieuse, respectueuse des personnes et de la foi, en l’organisant (au niveau de la conférence des évêques et des diocèses) de manière appropriée. C’est la raison d’être d’un service spécifique du catéchuménat des adultes dans chaque diocèse.

Recevoir des bénédictions (c. 1170). – Cette disposition, très ouverte, laisse une grande place à l’interprétation pastorale (et donc au discernement) selon les situations. A noter que ce droit est aussi, sauf interdiction, un droit des non-catholiques. Comme l’exprime Corinne Vettivelu au sujet des catéchumènes : « L’Église les nourrit de la Parole de Dieu et leur procure les richesses de sa liturgie. Ils doivent donc avoir à cœur de participer aux liturgies de la Parole et de recevoir les bénédictions et sacramentaux. »

Droit aux funérailles ecclésiastiques (c. 1183, § 1). – « En ce qui concerne les funérailles, les catéchumènes sont à considérer comme des fidèles » : cette disposition est par conséquent plus qu’une simple prérogative, elle est un droit, puisque, dans ce domaine singulier des funérailles, se réduit en quelque sorte l’écart entre baptisés et futur baptisés, ces derniers devant être considérés « comme des fidèles ».

Mariage. – Lorsqu’un(e) catéchumène et un(e) baptisé(e) catholique veulent se marier, leur mariage sera bien, pour l’Église catholique, un mariage dispar, tant que la partie catéchumène n’a pas reçu le sacrement. Le responsable du dossier administratif du mariage établira donc une demande de dispense de l’empêchement de disparité de culte. Deux remarques très importantes s’imposent pour ce qui concerne un tel mariage : la première, c’est qu’il ne convient pas de précipiter le baptême pour que le mariage soit immédiatement sacramentel – il le deviendra en temps utile avec le baptême du catéchumène (22) – car ce serait imposer au baptême une condition qui entraverait la liberté des personnes ainsi que la nécessaire maturation dont elles ont besoin ; la deuxième remarque concerne la déclaration d’intention : l’Eglise édite des formulaires spéciaux, immatriculés D 3a et D 3b, pour le mariage entre catholique et catéchumène ou précatéchumène (23), disponibles au service diocésain des actes et archives de catholicité. L’existence de ces formulaires montre que l’Église prend concrètement en compte le cheminement non seulement des catéchumènes, mais aussi de ceux qui le deviendront sous peu.

Devoir de mener une vie conforme à l’Évangile (c. 806, § 2). – C’est une condition sine qua non pour recevoir le baptême. Des personnes peuvent frapper à la porte de l’Église pour un jour être baptisée, mais dont la vie sociale ou affective ne soit pas en accord, ou pleinement en accord, avec les exigences de l’Église catholique. Dans les situations visées, l’agent pastoral pourrait répondre brutalement que la situation est incompatible avec le baptême et s’en arrêter là. Mais alors, ce serait faire fi de l’obligation pour l’Église et ses pasteurs de tout mettre en œuvre pour une véritable conversion, spécialement de proposer un précatéchuménat, sachant qu’il n’est pas de chemin de foi qui ne soit, pour tout un chacun, chemin de conversion. Sur les situations qui peuvent nous paraître loin de l’idéal chrétien, le Christ nous presse de poser un regard de miséricorde et de cheminer activement avec les personnes, qui nous renvoient aussi, à travers leur singularité, un visage du Christ.

P. Hugues GUINOT

Chancelier du diocèse de Sens-Auxerre


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(1)  Bruno GONÇALVES et Laurent TOURNIER (dirs), Le droit de l’Église au service… du catéchuménat, Paris, Artège, 2018, 172 p.

(2) Le concile Vatican II parle bien d’un « statut juridique » pour les catéchumènes, lesquels « sont déjà unis au Christ » (CONCILE ŒCUMENIQUE VATICAN II, Décret « Ad gentes » sur l’activité missionnaire de l’Église, 7 décembre 1965, n° 14, al. 5)

(3) Patrick VALDRINI, Leçons de droit canonique. Communautés, personnes, gouvernement, Paris, Salvator, 2017, p. 251.

(4) Code de droit canonique de 1983 (CIC 83), c. 206, § 1.

(5) Expression figurant dans le rite d’adhésion initiale.

(6) Cf. c. 206, § 2 ; Rituel de l’initiation chrétienne des adultes (RICA), n° 77 [RR 18].

(7) Le substantif pluriel latin prærogativæ est utilisé par le c. 206, § 2 pour distinguer ce qui est déjà dû aux catéchumènes des droits des baptisés.

(8) Cf. RICA, n° 39 [RR 4].

(9) L’ « initiation chrétienne au cours du catéchuménat doit être l’œuvre non pas des seuls catéchistes ou des seuls prêtres, mais celle de toute la communauté des fidèles, en sorte que dès le début les catéchumènes sentent qu’ils appartiennent au peuple de Dieu. » (CONCILE ŒCUMENIQUE VATICAN II, Décret « Ad gentes » sur l’activité missionnaire de l’Église, 7 décembre 1965, n° 14, al. 4)

(10) Cf. cc. 383, §4 ; 528, §1 ; il est intéressant ici de noter que tout non baptisé a le droit d’ester en justice (cf. c. 1476).

(11) Concernant la perspective du catéchuménat, « au point de départ, il y a une initiative gratuite de Dieu. C’est Dieu qui pousse à se mettre en chemin. Un appel est entendu de manière ténue ou plus explicite, soudaine ou au contraire plus soutenue dans le temps. » (ÉGLISE CATHOLIQUE EN FRANCE, URL : cliquez ici . [Site consulté le 15 avril 2019])

(12) D’où l’importance du précatéchuménat ; cf. RICA n° 67 [RR 10].

(13) Cf. Philippe GREINER, « Catéchuménat, catéchumène et liberté de conscience », in Le droit de l’Église au service… du catéchuménat, op. cit., p. 19-45.

(14) Là se trouve le fondement de la fonction de parrain.

(15) Cf. Matthieu 25, 40b : « […] chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (trad. TOB)

(16) « Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit. » (Marc 16, 7b, trad. TOB)

(17) CONCILE ŒCUMENIQUE VATICAN II, Décret « Ad gentes » sur l’activité missionnaire de l’Église, 7 décembre 1965, n° 13, al. 3.

(18) Patrick VALDRINI, op. cit., p 254.

(19) Ibid., p. 255.

(20) Rituel de l’initiation chrétienne des adultes (RICA), n° 46.

(21) ASSEMBLEE DES EVEQUES CATHOLIQUES DU QUEBEC, Guide canonique et pastoral au service des paroisses, Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 2018, p. 12 ; cf. RICA, « Notes doctrinales et pastorales », n° 8.

(22) Le mariage sera célébré selon les normes du rituel : Rituel romain de la célébration du mariage, Paris, Desclée/Mame, 2005, p. 99-113. Ensuite, pour marquer publiquement que le mariage devient sacramentel avec le baptême de la partie catéchumène, une prière est prévue dans le même rituel, p. 162-164.

(23) Cf. Directoire canonique et pastoral pour les actes administratifs des sacrements, Recloses, Paroi-services, 1994, p. 285-287.